Le sacré, le secret, Les Wan, Mona et Koyaka de Côte d’Ivoire

ALAIN-MICHEL BOYER

Combien de peuples africains, de faible importance numérique, sont-ils encore aujourd’hui, « oubliés », même si les pays où ils vivent sont eux-mêmes bien connus ? C’est le cas en Côte d’Ivoire, qui comporte plus de soixante ethnies, soixante langues. Mais combien d’arts sont-ils du coup négligés, alors qu’ils ont influencé ceux de leurs puissants voisins ? Tels sont les Wan, les Mona, les Koyaka, qui vivent presque côte à côte, au centre-ouest de la Côte d’Ivoire, dans quelques dizaines de villages, et dont l’Occident ne sait presque rien. Qui serait capable de leur attribuer une quelconque création artistique ? Pourtant, leurs nombreux masques – masques à visage humain, masques-disques, masques anthropozoomorphes, masques-heaumes, évoquant des entités surnaturelles, sont encore tous en fonction, lors de spectaculaires cérémonies, et ces réalisations plastiques, qui ont irradié vers l’est et le sud, constituent quelques pièces maîtresses du puzzle esthétique du centre de la Côte d’Ivoire. Ces trois peuples, il est vrai, vivent dans une région relativement reculée, au bout de pistes difficiles, et leur art est pour une large part invisible au voyageur qui traverse le pays et qui n’a que peu de chance de voir des danses avec les masques (la plupart interdits aux femmes, africaines ou occidentales) – alors que les statues sont dissimulées au fond des maisons. Mais l’ignorance de l’Occident à l’égard de ces peuples provient surtout du culte du secret qui leur a permis de résister, pendant des siècles, à beaucoup d’asservissements et de préserver leur indépendance artistique : un secret qui a chez eux un lien profond avec le sacré. Lévi-Strauss ne disait-il pas : « La vérité s’indique au soin qu’elle met à se dissimuler » ?